miércoles, 29 de febrero de 2012

Les Fleurs du Mal (II)

Réversibilité

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,
Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide!
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
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Reversibilidad

Ángel lleno de alegría, ¿conoces la angustia,
La vergüenza, los remordimientos, los sollozos, las molestias,
Y los vagos terrores de esas horribles noches
Que oprimen el corazón como un papel estrujado?
Ángel lleno de alegría, ¿conoces la angustia?

Ángel lleno de bondad, ¿conoces el odio,
Los puños crispados, en la sombra y las lágrimas de hiel,
Cuando la venganza bate su infernal llamado,
Y de nuestras facultades se hace la capitana?
Ángel lleno de bondad, ¿conoces el odio?

Ángel lleno de salud, ¿conoces las fiebres,
Que a lo largo de los murallones pálidos del hospicio,
Como exiliados, se marchan arrastrando los pasos,
Buscando el raro sol y moviendo los labios?
Ángel pleno de salud, ¿conoces las fiebres?

Ángel lleno de belleza, ¿conoces las arrugas,
Y el miedo de envejecer, y este horrendo tormento
De leer el secreto horror de la abnegación
En los ojos donde largo tiempo bebieron nuestros ojos ávidos?
Ángel lleno de belleza, ¿conoces las arrugas?

Ángel lleno de ventura, de alegría y de luces,
David moribundo habría pedido la salvación
A las emanaciones de tu cuerpo encantado;
Pero, de ti yo no imploro, ángel, más que tus plegarias,
¡Ángel lleno de ventura, de alegría y de luces!

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Le flacon

II est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l'Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l'air troublé; les yeux se ferment; le Vertige
Saisit l'âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

II la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,
Où, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire
Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon coeur!

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El frasco

Hay fuertes perfumes para los que toda materia
Es porosa. Se diría que penetran el vaso.
Al abrir un cofrecillo llegado del Oriente
Cuya cerradura rechina y se resiste chirriando,

O bien en una casa desierta en algún armario
Lleno del acre olor del tiempo, polvoriento y negro,
A veces encontramos un viejo frasco que se recuerda
Del que surge vivísima un alma que resucita.

Mil pensamientos dormían, crisálidas fúnebres,
Temblando dulcemente en las pesadas tinieblas,
Que entreabren su ala y toman su impulso,
Teñidas de azur, salpicadas de rosa, laminadas de oro.

He aquí el recuerdo embriagador que revolotea
En el aire turbado; los ojos se cierran: el Vértigo
Agarra el alma vencida y la arroja a dos manos
Hacia un abismo oscurecido de miasmas humanas;

La derriba al borde de un abismo secular,
Donde, Lázaro oloroso desgarrando un sudario,
Se mueve en su despertar el cadáver espectral
De un viejo amor rancio, encantador y sepulcral.

Así, cuando yo esté perdido en la memoria
De los hombres, en el rincón de un siniestro armario
guando me hayan arrojado, viejo frasco desolado,
Decrépito, polvoriento, sucio, abyecto, viscoso, rajado,

¡Yo seré tu ataúd, amable pestilencia!
El testigo de tu fuerza y de tu virulencia,
¡Caro veneno preparado por los ángeles! licor
Que me corroe, ¡Oh, la vida y la muerte de mi corazón!

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À une Madone

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne;
Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes,
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes!
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent
Pour Marchepied tailler une Lune d'argent
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles
Reine victorieuse et féconde en rachats
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges
Etoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu;
Et comme tout en moi te chérit et t'admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l'amour avec la barbarie,
Volupté noire! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant!
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A una Madona

Yo quiero erigir para ti, Madona, mi amante,
Un altar subterráneo en el fondo de mi angustia,
Y cavar en el rincón más negro de mi corazón,
Lejos del deseo mundanal y de la mirada burlona,
Un nicho de azur y de oro todo esmaltado,
Donde tú te erigirás, Estatua maravillosa.
Con mis Versos pulidos, enmallados por un puro metal
Sabiamente constelado de rimas de cristal,
Yo haré para tu cabeza una enorme Corona;
Y de mis Celos, oh Mortal Madona,
Yo sabré cortarte un Manto, de manera
Bárbara, tieso y pesado, y forrado de sospechas,
Que, como una garita, encerrará tus encantos;
No de Perlas bordado, ¡sino de todas mis Lágrimas!
Tu Ropa, será mi deseo, trémulo,
Ondulante, mi Deseo que sube y que desciende,
En las cimas meciéndose, en los valles reposando,
Y reviste con un beso todo tu cuerpo blanco y rosado.
Yo te haré de mi Respeto, hermosos Escarpines
De raso, para tus pies Divinos humillados,
Que, aprisionándolos en un muelle abrazo,
Cual un molde fiel conservarán la impronta.
Si yo no puedo, malgrado todo mi arte diligente,
Por Peana tallar una Pluma de plata,
Pondré la Serpiente que me muerde las entrañas
Bajo tus talones, a fin de que tú pises y te mofes,
Reina victoriosa y fecunda en redenciones,
Este monstruo hinchado de odio y de salivazos.
Tú verás mis Pensamientos, alineados como los Cirios
Ante el altar florido de la Reina de las Vírgenes,
Estrellando el cielorraso pintado de azul,
Mirándote siempre con ojos de fuego;
Y como todo en mí te quiere y te admira,
Todo se hará Benjuí, Incienso, Olíbano, Mirra,
Y sin cesar hacia ti, cumbre blanca y nevada,
En Vapores ascenderá mi Espíritu tempestuoso.

Finalmente, para completar tu papel de María,
Y para mezclar el amor con la barbarie,
¡Negra Voluptuosidad! de los siete Pecados capitales,
Verdugo lleno de remordimientos, yo haré siete Puñales
Bien afilados, y, como un juglar insensible,
Tomando lo más profundo de tu amor por blanco,
¡Yo los plantaré a todos en tu Corazón jadeante,
En tu Corazón sollozante, en tu Corazón sangrante!

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Charles Baudelaire

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