miércoles, 29 de febrero de 2012

Les Fleurs du Mal (III)

Obsession

Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales;
Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amer
De l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,
Je l'entends dans le rire énorme de la mer

Comme tu me plairais, ô nuit! sans ces étoiles
Dont la lumière parle un langage connu!
Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.

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Obsesión

Grandes bosques, me espantáis como catedrales;
Aulláis como el órgano; y en nuestros corazones malditos,
Estancias de eterno duelo donde vibran viejos estertores,
Responden a los ecos de vuestros De profundis.

¡Yo te odio, Océano! tus saltos y tus tumultos,
Mi espíritu en él los recobra. Esta risa amarga
Del hombre vencido, lleno de sollozos y de insultos,
Yo la escucho en la risa enorme del mar.

¡Cómo me agradarías, oh noche! ¡Sin estas estrellas
Cuya luz habla un lenguaje conocido!
¡Porque yo busco el vacío, y el negro, y el desnudo!

Pero, las tinieblas son ellas mismas las telas
donde viven, brotando de mis ojos por millares,
Los seres desaparecidos de las miradas familiares.

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Le goût du néant

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle bute.

Résigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte!
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!

Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur;
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur,
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.

Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
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El gusto de la nada

Melancólico espíritu, en otros tiempos enamorado de la lucha,
La Esperanza, cuya espuela acuciaba tu ardor,
¡No quiere más montarte! Acuéstate sin pudor,
Viejo caballo cuyos cascos en cada obstáculo chocan.

Resígnate, corazón mío; duerme tu sueño de bruto.

Espíritu vencido, ¡despeado! Para ti, viejo merodeador,
El amor no tiene más gusto, no más que la disputa,
¡Adiós, pues, cantos del cobre y suspiros de la flauta!
¡Placeres, no tentéis más un corazón sombrío y embustero!

¡La Primavera adorable ha perdido su perfume!

Y el Tiempo me engulle minuto tras minuto,
Como la nieve inmensa un cuerpo ya tieso;
Yo contemplo desde lo alto el globo en su redondez
Y no busco más el abrigo de una choza.

Avalancha, ¿quieres arrastrarme en tu caída?

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Le mort joyeux

Dans une terre grasse et pleine d'escargots
Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde.

Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;
Plutôt que d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux
A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

- O vers! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

A travers ma ruine allez donc sans remords,
Et dites-moi s'il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts?
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El muerto alegre

En una tierra fértil y llena de caracoles
Yo mismo quiero cavar una fosa profunda,
Donde pueda holgadamente tender mis viejos huesos
Y dormir en el olvido como un tiburón en la onda.

Yo odio los testamentos y yo odio las tumbas;
Antes que implorar una lágrima del mundo
Viviente, preferiría invitar a los cuervos
A sangrar todas las puntas de mi osamenta inmunda.

¡Oh, gusanos! negros compañeros sin orejas y sin ojos,
Ved cómo hasta vosotros llega un muerto libre y alegre;
Filosóficos vividores, hijos de la podredumbre,

A través de mi ruina pasad sin remordimientos,
Y decidme si hay aún alguna tortura
Para este viejo cuerpo sin alma ¡y muerto entre los muertos!

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Charles Baudelaire

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